Comédie d’une excentricité délicieuse, French Exit (Sortie côté tour) s’ouvre sur un préadolescent, Malcolm, qui chemine dans les couloirs déserts d’une école privée cossue. Par une porte ouverte, on entend sans le voir le directeur qui récrimine et pontifie. Face à l’homme, la mère de Malcolm, Frances, toute de fourrure vêtue, a l’air de s’ennuyer ferme. À la vue de Malcolm, la voici qui se met à ignorer pour de bon le directeur éructant pour ne plus focaliser son attention que sur ce fils, apprendra-t-on ultérieurement, qu’elle ne connaît pas vraiment. On retrouve le duo douze ans plus tard alors que, grande mondaine déchue, Frances quitte New York pour Paris, Malcolm à ses côtés. Le film, qui donne à voir une Michelle Pfeiffer au sommet de son art, est tiré d’un roman de Patrick deWitt, qui en signe le scénario. On lui a parlé.
À l’origine, le personnage de Frances apparut avant même le début d’une ébauche d’histoire, raconte Patrick deWitt. « Frances s’est manifestée au premier jour. Une telle clarté est inaccoutumée pour moi. Mon processus est d’habitude beaucoup plus laborieux en ce qui a trait à la création des personnages. Mais Frances était là, elle était prête. La scène d’introduction du roman, où elle et son fils quittent une réception parce qu’ils s’y ennuient, pour ensuite se moquer des convives, est restée telle quelle au fil des versions. »
Dans le film, ladite scène survient à l’issue du premier acte et renforce l’idée que Frances a une kyrielle de défauts : elle est égocentrique, hautaine, méprisante… Elle devrait être insupportable, or elle est irrésistible. Frances est le genre de personnage dont on se délecte en fiction, mais qu’on ne pourrait tolérer dans la vraie vie. Quoique.
« Son fils Malcolm a pris forme rapidement aussi. J’avais besoin d’un contrepoids pour Frances : quelqu’un qu’elle pourrait mener au doigt et à la baguette, mais envers qui elle pourrait surtout faire preuve de tendresse, une qualité longtemps occultée. J’ai aimé écrire à propos d’une mère et de son fils : il s’agissait pour moi de contrées inexplorées. »
Bien avant la publication du roman en 2018, Patrick deWitt fit lire des versions préliminaires au réalisateur Azazel Jacobs, un ami de longue date pour qui il avait déjà écrit le scénario original du film Terri, en 2011. Le projet d’adapter French Exit naquit de manière spontanée.
« L’avantage d’écrire un scénario que réalisera quelqu’un qu’on connaît bien, c’est que la communication est facile. Il n’y a pas d’hésitation ou de perte de temps : je sais ce qu’il pense et il sait ce que je pense. Azazel a en outre eu la générosité de m’impliquer dans les décisions subséquentes, comme choisir les comédiens. Ce n’est pas le cas de tous les cinéastes, et ça ne doit pas forcément l’être, mais c’est important pour moi. »
À cet égard, Patrick deWitt se trouve à présent dans la situation où il s’est adapté lui-même et où il a été adapté par un autre, Jacques Audiard en l’occurrence, qui porta à l’écran The Sisters Brothers en 2018. Une préférence ?
« Si je devais choisir, je dirais que j’aimerais être en mesure d’adapter moi-même tous mes romans dans le futur. Je ne sais toutefois pas de quoi l’avenir sera fait : il est par exemple possible que je sois accaparé par un nouveau roman pendant qu’un précédent est en train d’être adapté, ce qui veut dire que je serais sans doute incapable de faire les deux. Et il y a aussi ces occasions où un cinéaste préfère écrire ses propres scénarios, comme Jacques Audiard, un cinéaste que j’admire. »
Comme le roman, le film forge un climat de fantaisie narrative tout en maintenant une façade sérieuse. On va de la saynète absurde quasi autonome à des moments d’humour noir, en passant par des passages soudain très émouvants, le tout baignant dans une atmosphère de mélancolie.
Une mélancolie qui émane de Frances, femme complexe s’il en est. D’ailleurs, on ne peut qu’admirer la capacité du film à ne jamais devenir un succédané de Travers with My Aunt (Voyages avec ma tante), roman de Graham Greene et film de George Cukor, dans lequel une tante extravagante entraîne son neveu coincé dans diverses péripéties. En théorie, French Exit souscrit, mais en pratique, pas du tout.
« Le ton du roman aurait facilement pu se perdre dans l’adaptation cinématographique, oui. Ça aurait pu devenir caricatural : une histoire de tante fofolle [« mad aunt movie »]. Ou, à l’inverse, ça aurait pu être juste déprimant… C’est un équilibre précaire et Azazel l’a d’emblée compris — un autre avantage de collaborer avec un ami. Il y avait toute une question de dosage qu’il saisissait parfaitement. »
Et, de poursuivre Patrick deWitt, autant sa vision du scénario était claire, autant ses choix de conserver tel élément et d’écarter tel autre relevaient de l’instinct. « Parfois, Azazel n’était pas d’accord sur un point auquel je tenais mordicus, et je n’étais même pas en mesure d’argumenter : mon écriture est intuitive, et pas du tout intellectuelle. J’écris du cœur. »
Au final, Patrick deWitt se réjouit que le film, sans être l’esclave de celle-ci, soit demeuré fidèle à la source. Cela se vérifie également dans les dialogues, qui conservent dans le film leur qualité littéraire stylisée.
Le ton du roman aurait facilement pu se perdre dans l’adaptation cinématographique, oui. Ça aurait pu devenir caricatural : une histoire de tante fofolle [« “mad aunt movie” »]. Ou, à l’inverse, ça aurait pu être juste déprimant… C’est un équilibre précaire et Azazel l’a d’emblée compris — un autre avantage de collaborer avec un ami. Il y avait toute une question de dosage qu’il saisissait parfaitement.
« J’avoue que j’avais certaines appréhensions, parce que c’est plus difficile à se mettre en bouche pour les acteurs. Ce n’est pas naturel, à dessein. Mais ils y sont parvenus brillamment, je pense. »
C’est le cas, à commencer par Michelle Pfeiffer, qui fait siennes les répliques ciselées de l’auteur avec classe, panache, et cet indispensable supplément de naturel.
« Lors de ma dernière journée sur le plateau, je suis allé la remercier, se souvient Patrick deWitt. De voir une star de sa magnitude, une figure emblématique du cinéma, une artiste, livrer mon texte, dire mes mots… C’est une expérience qui à la fois exalte et rend humble. »
Frances Price est une personnalité mondaine, une « socialite », célébrissime dans les hautes sphères new-yorkaises. Seulement voilà, Frances, veuve dépensière, est ruinée. Avant qu’on les saisisse, elle vend en douce tous ses biens et s’embarque à bord d’un navire en direction de Paris, flanquée de son fils, Malcolm, et de leur chat. Tiré du roman de Patrick deWitt et scénarisé par ce dernier, French Exit (Sortie côté tour) est un film qui exige un certain acte de foi cinéphile. En cela que s’y côtoient des touches d’humour absurde, une foncière mélancolie, un élément significatif de réalisme magique, ainsi qu’une approche résolument littéraire au chapitre des dialogues (jubilatoires). La galerie de personnages secondaires est tout aussi bigarrée. Autrement dit, il s’agit là d’une proposition haute en couleur qui ne manque ni de charme ni de saveur. D’une élégance minimaliste (jusque dans les directions artistique et photo à dominance de gris, de beiges et d’ocres), la réalisation d’Azazel Jacobs aurait à cet égard gagné à être un peu plus baroque, fond et forme n’étant pas tant en contraste qu’en porte-à-faux l’un par rapport à l’autre. Très juste, comme à son habitude, Lucas Hedges (Manchester by the Sea, Boy Erased) compose un Malcolm d’abord agaçant d’immaturité, puis de plus en plus touchant. C’est toutefois la prestation impériale de Michelle Pfeiffer, d’une drôlerie blasée, qui domine. Sa Frances compte parmi ses meilleures compositions en carrière, à ranger avec ses interprétations dans Married to the Mob, Dangerous Liaisons, Batman Returns et The Age of Innocence, entre autres.
Sortie côté tour (V.F. de French Exit)
★★★ 1/2
Comédie d’Azazel Jacobs. Avec Michelle Pfeiffer, Lucas Hedges, Valerie Mahaffey, Imogen Poots, Isaach de Bankolé, Tracy Letts. Canada–Irlande, 2020, 110 minutes. En salle.
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