Ma ville
Daniel Giguère – Après le très remarqué roman Les frères Sisters, paru chez Alto en 2013, et qui lui a valu le Prix des libraires du Québec, Patrick DeWitt nous fait cette fois découvrir le monde étonnant et absurde de Lucien Minor, dit Lucy, menteur par vocation, et qui se voit un jour offrir le poste de sous-majordome dans l’énigmatique château du baron d’Aux, lequel a de bien étranges et dégoûtantes habitudes.
Niché au-dessus d’un village où grouillent voleurs, aristocrates et une bande de cinglés, quelque part en Europe centrale dans les années 1820 ou 1830, le château renferme également deux ou trois spécimens d’hurluberlus plutôt sympathiques, malgré leurs côtés abrasifs. Qu’on pense seulement à Olderglough, le majordome à l’allure tout aussi mystérieuse que fantomatique et qui fera à son nouvel employé plusieurs recommandations, dont celle de fermer la porte de sa chambre à double tour chaque soir avant d’aller dormir. Un conseil que Lucy apprendra très vite à respecter.
Dès les premières heures suivant son arrivée, Lucy partira à la découverte de ce bien curieux village aux prises avec des guerres de clans, et au cœur duquel il fera la rencontre de la très belle Klara, dont il tombera amoureux fou, amour qui le poussera à commettre des gestes irréparables.
À ces personnages attachants s’ajoutera la baronne d’Aux, qui ne vit pas au château, préférant entretenir une correspondance épistolaire avec son mari pour des raisons fort légitimes, et qu’on découvrira au fil du roman.
Le talent de DeWitt pour des univers déjantés, à la limite du grotesque, est indéniable et se confirme à nouveau dans ce roman.
L’écrivain a le sens de la formule et du rythme, qui est identifiable par des chapitres souvent très brefs, de deux ou trois pages et dont la plupart se terminent par une chute aussi remarquable qu’inattendue. On a souvent l’impression de lire des nouvelles dans le roman, ce qui ne gâche absolument pas notre plaisir, bien au contraire.
Pour ce qui est des dialogues, c’est autre chose. Dans une entrevue accordée au journal La Presse, DeWitt affirme qu’ils sont une des facettes de son travail qu’il aime le plus. « C’est l’aspect de l’écriture que je préfère, dira-t-il à la journaliste. Deux personnes qui communiquent et, ainsi, font avancer l’histoire à ma place. Peu importe ce que j’ai à dire au lecteur, j’ai habituellement quelqu’un pour le dire pour moi. »
Mais encore faut-il que les personnages aient quelque chose à dire, justement, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
Les dialogues s’étirent ainsi, parfois sur trois ou quatre pages et donnent l’impression d’un soliloque un peu lourd et redondant, destiné aux seuls protagonistes. Si on pense au début à Vladimir et Estragon, la technique finit par lasser.
On reste souvent sur notre appétit, souhaitant voir le récit se développer et la psychologie des personnages prendre du volume et de la profondeur, influencés par ce qui leur arrive, car Dieu sait qu’il leur arrive beaucoup de choses.
Le chapitre sur Monsieur Broom et Thomas le grand joueur en est un exemple intéressant, qui aurait pu devenir une allégorie extrêmement riche, mais l’auteur se contentera de raconter la triste aventure de ces deux personnages avec une trop grande banalité.
Malgré ces quelques bémols, il ne faudrait pas bouder son plaisir pour autant.
Le sous-majordome est incontestablement un bon roman.
DeWitt a le talent pour mettre en scène des personnages dans des situations rocambolesques.
On se plaît souvent à imaginer ce que certaines scènes deviendraient entre les mains d’un Tim Burton.
Mais puisque nous sommes dans le monde de la littérature, on était également en droit de s’attendre à ce que DeWitt creuse la personnalité de ses personnages et développe les thèmes qu’il effleure à peine au passage, ce qui aurait donné un peu plus de substance à un récit pourtant très riche en aventures.
On reste donc un peu sur sa faim en terminant le roman, ce qui nous pousse à penser que Patrick DeWitt, qui a un talent fou, est peut-être aussi un écrivain un peu paresseux.
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