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Un duo drôlement assorti, une cavale qui se termine mal, une habile subversion des genres. Autant de bases auxquelles le romancier Patrick deWitt ajoute chaque fois une pincée de sa poudre de perlimpinpin.
Originaire de Vancouver, en Colombie-Britannique, où il est né en 1975, l’écrivain vit depuis neuf ans à Portland, en Oregon, sur la côte ouest des États-Unis. Au bout du fil, après avoir raté notre appel une première fois, Patrick deWitt avoue connaître une mauvaise journée. « Je suis maudit ! »
Mais le reste du temps, qu’on se rassure, les choses semblent aller plutôt bien. Et même très bien. Son quatrième roman, Sortie côté tour (French Exit), a figuré parmi les finalistes du prestigieux prix Scotiabank Giller — en compagnie notamment de la traduction anglaise de La fiancée américaine d’Éric Dupont. Sous l’enseigne d’une « tragédie de mœurs », Patrick deWitt nous a fignolé encore une fois une histoire un peu décalée, à la façon d’un Wes Anderson.
Les frères Sisters avait reçu le Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie romans et nouvelles de langue anglaise, a été finaliste au prestigieux Man Booker Prize et au Scotiabank Giller.
Le Français Jacques Audiard a reçu le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2018 pour son adaptation cinématographique du roman — une mise en images de son œuvre pour laquelle l’écrivain a le plus grand respect, assure-t-il.
Sortie côté tour repose d’une part sur Frances Price, la veuve d’un riche avocat new-yorkais connu en son temps pour avoir été le « défenseur exclusif des causes indéfendables » (pollueurs, compagnies de tabac, lobbyistes pro-armes), un homme dont elle n’a pas pleuré la mort une seule seconde — une insouciance suspecte qui lui sera reprochée. L’avait-elle aimé ? « Oui, et puis non, puis encore oui, et pour finir, pas du tout. »
Femme à la beauté « terrible et spirituelle » d’une soixantaine d’années, elle jetait l’argent par les fenêtres de façon pathologique et avait cru qu’elle mourrait avant de manquer d’argent. « Mais ça ne s’est pas passé de cette façon, je ne suis pas encore morte, et voilà. »
Côté jardin, son fils Malcolm, célibataire de 32 ans, est un « lugubre homme-enfant » qui désespère de se faire aimer d’elle. Ruiné, le duo va quitter l’Upper East Side à New York pour Paris en compagnie de leur chat P’tit Frank et de leurs derniers 170 000 euros en liquide. « Il faut tout dépenser. C’est le but du jeu. »
Un chat qui parle, des duos improbables, de spectaculaires chutes de la haute société sans parachutes dans une Mitteleuropa connue de lui seul. On se demande où Patrick deWitt tire ces histoires et ces personnages excentriques.
« Ça vient toujours d’une toute petite chose, assure le romancier. » Il raconte que Les frères Sisters, par exemple, avait pris son origine de deux mots qu’il avait notés à la sauvette : « Cowboys sensibles ». Pour Sortie côté tour, il se rappelle qu’il souhaitait vaguement aborder la dynamique des relations mère-fils et explorer le déclin de gens riches.
« J’éprouve une espèce de compulsion à raconter des histoires sombres, reconnaît-il. Et à l’évidence, j’ai une fascination pour les personnages d’anormaux. » Une noirceur qui s’éclaircit par la magie d’un humour bien dosé.
Lecteur de Robert Walser et de Thomas Bernhard, des auteurs qui ne sont pas particulièrement légers, mais tous deux aussi dotés d’un humour noir pour le moins singulier, Patrick deWitt a également subi pour ce quatrième roman l’influence d’Evelyn Waugh, le génie comique anglais. Mais c’est surtout, explique-t-il, l’unique et hilarant roman de Jane Bowles, Two Serious Ladies, qui semble avoir laissé sa marque.
Et cette fois encore, la manière de Patrick deWitt est plus proche de la caricature que de l’aquarelle. Mais d’une caricature élevée au rang des beaux-arts, s’exprimant toujours avec finesse sans jamais forcer le trait, à travers des silences et une série de malaises calculés. Patrick deWitt n’a aucun mal à reconnaître sa prédilection pour les personnages d’anormaux. Une dimension de son travail dont se délecte le styliste en lui, adepte de précision et d’épure. « Tout ce que je fais dans mon travail, comme à peu près tout le monde, je le fais avec effort et attention. Mais avec le temps, je réalise que ce qu’on ne dit pas est presque plus important. »
Alors que les frères Sisters, en pleine époque de la ruée vers l’or californienne, devaient trouver et tuer un homme qui avait fait « quelque chose » à leur commanditaire, une quête un peu floue doublée d’une cavale sert encore une fois ici à structurer l’action. « Ça, c’est une chose que je fais, que je sais que je fais et pour laquelle je me déteste », lâche spontanément Patrick deWitt, même si depuis Homère la méthode a fait ses preuves.
« Je me réserve le droit de le faire encore et encore, parce que ça règle bien des problèmes d’écriture et parce que c’est tellement amusant. Je me dis que c’est quelque chose que je devrais peut-être essayer de ne pas faire une autre fois. Mais je ne sais pas si j’aurai la force de ne pas le faire dans mon prochain livre », ajoute-t-il en riant.
Avant de reprendre le cours de sa journée damnée, Patrick deWitt jette avec son humour flegmatique : « Quand on est enfant, souvent, on a un ami imaginaire. Eh bien, la vie d’un écrivain, en fait, consiste à échanger chaque journée et à longueur de journée avec son ami imaginaire, confie-t-il. Et je ne sais pas à quel point il est sain de vivre aussi longtemps avec des gens qui, franchement, n’existent pas vraiment… »
 
Patrick deWitt, traduit de l’anglais par Sophie Voillot, illustrations de Paul Bordeleau, Alto, Québec, 2019, 298 pages
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